« Au Planteur de Caïffa »

Alain BERREBI


Au début du XXe siècle, en France, deux sociétés de vente de café sont créées : « Au Planteur de Caïffa » et « La Maison du Café ». Toutes deux connaîtront un essor considérable. L’une d’elles intéresse les collection­neurs de Judaïca.

Michel Cahen, fondateur

Michel Cahen est né le 4 février 1862 à Ennery (Mo­selle). Son père, Abraham Cahen, y était marchand de bestiaux ; sa mère se nommait Caroline Lévy. C’est vers 1887, à l’âge de 25 ans, que le jeune Michel commence à vendre du café. Son capital de départ est très modeste. Il achète, au Havre, la cargaison de café d’un bateau qui, du fait d’un coup de mer, a eu son fret en partie noyé. Cahen fait sécher et griller le café récupéré (à peine dix kilos consommables) et le répartit en paquets d’une livre qu’il vend à la petite semaine, au porte-à-porte. Ses quali­tés de vendeur et l’excellent goût de son café brésilien font que, dix ans plus tard, le chiffre d’affaires du « Plan­teur de Caïffa » atteint 1 120 000 francs de l’époque et, en 1910, 70 000 000 de francs. L’entreprise a son siège à Pa­ris, dans le XIVe arrondissement ; les magasins, bu­reaux et usines de torréfaction se situent rue Joanès, au 13, et rue Boulitte (cf. photo, page ci-contre). L’affiche, que nous reproduisons également, nous indique déjà que la firme ne borne pas ses activités au seul café : son champ d’action, on le verra, englobe d’autres produits exo­ti­ques (thé, épices) et même toutes denrées, princi­pale­ment alimentaires.

Michel Cahen a étendu la vente au détail à travers toute la France, jusque dans les cantons les plus isolés, cela grâce à un réseau efficace de succursales. L’atout du « Caïffa », en plus de la qualité de ses produits et de la solidité de ses structures, réside dans la coutume singu­lière qu’il a de mener son commerce : il chine, autre­ment dit, se déplace à domicile. En ce sens, il perpétue la tra­dition des colporteurs d’antan. L’approvisionne­ment se fait par chemin de fer. Le café arrive en sacs, c’est l’agent sur place qui se charge de le peser et de l’ensacher dans des pochettes imprimées à la marque. Les colporteurs du « Caïffa » vendent également des boîtes de sardines, des pâtes, des gâteaux secs, du chocolat à croquer, des crè­mes instantanées, du sucre, du poivre, de l’huile, du vinaigre, du savon, de la poudre de lessive… et même de quoi repriser ! Ils se déplacent dans leurs célèbres char­rettes à trois roues (voir carte postale). La maison leur fournit deux casquettes par an : une grise pour l’été, une verte pour l’hiver. Ces coiffures sont l’attribut de notre colporteur, qui souvent complète sa tenue, faite d’un ta­blier de jardinier, d’une sacoche d’épicier et d’un insé­pa­rable crayon sur l’oreille.

Michel Cahen est aussi l’inventeur d’un argument de vente que bien des commer­çants exploiteront à leur tour : le timbre-prime. On trouvera en fin d’article quelques exemples de ces vignettes.

En 1910, Michel Cahen est fait chevalier de la Légion d’honneur, pour services rendus à la nation. En effet, il a introduit le café dans nombre de régions reculées qui l’ignoraient ; or, là où le café progresse, l’alcoolisme perd du terrain ! Par ailleurs, la vogue croissante du café a rendu la prospérité à nos vieilles colonies de la Martini­que et de la Réunion, dont les vastes plantations s’en allaient en ruine. Enfin, ce grand industriel est aussi un bienfaiteur : en 1903, il a créé une société de secours mutuels, « La Mutuelle Au Planteur de Caïffa », qui permet au personnel de se garantir contre la mi­sère en cas de maladie et de s’assurer une vieillesse décente. Chaque année, Michel Cahen envoie à ses frais plus de deux cents enfants dans des colonies de vacances. Il a fondé un orchestre de plus de cent musiciens, dont le rôle est d’égayer les fêtes de mutualité et de bienfaisance…

À l’époque (1910) où Michel Cahen reçoit la rosette, le « Caïffa » compte plus de 300 succursales. Les six mille em­ployés de l’entreprise font vivre plus de trente mille personnes. On torréfie dix mille tonnes de café par an. En outre, afin de lutter contre la concurrence étrangère, Michel Cahen a fait construire à Malakoff une immense usine ultramo­derne de biscuits.

Marié avec Caroline Gross (décédée le 21 juin 1917), Michel Cahen a eu quatre enfants : un fils, Albert (dé­cédé) et trois filles. Il meurt le 31 janvier 1928, à l’âge de 66 ans, en son domicile du 13 rue Lamennais, Paris VIIIe. Il est enterré le 3 février à Bagneux.

Dans l’entre-deux-guerres, à la ville comme à la cam­pagne, le « Caïffa » sur son triporteur était une figure bien connue de tous ; il tenait un rôle non moins utile que nos actuels « commerces de proximité ». Voici deux témoi­gnages de cette immer­sion dans la France profonde :

« Le Caïffa n’était pas apparu à Chaliers depuis de longs mois et la population s’en inquiétait. Monsieur Brun, l’ayant croisé vers le Roux, nous informa qu’il se dirigeait vers nous. Cétait un homme dune cinquantaine dannées, qui actionnait péniblement un tricycle surmonté d’un caisson d’un demi mètre cube environ peint aux ar­mes du Planteur de Caïffa, et qui proposait aux ménagères cafés, épices, levures, farines et spécialités diverses. Profession peu rentable et épuisante. Exténué, il dormait souvent dans une grange, à même le fourrage, après avoir dégusté une bonne soupe chez un fermier généreux et apitoyé ».

« Je revois son arrivée au village. On l’aperçoit de loin. Il venait de la localité voisine, Sainville, distante de quatre kilomètres. Peu d’autos l’inquiétaient sur son trajet. Il poussait sa voiture aux trois roues cerclées de fer. Puis, de maison en maison, il se présentait en criant : Caïffa, Caïffa ! tout en répondant aux commandes. Ma mère avait l’habitude de lui prendre du café… Café, chicorée, chocolat, pâtes composait son inventaire. Comme à cette époque on  reprisait beaucoup, il proposait également du fil, du coton et des aiguilles. Il extrayait tout cela des ti­roirs superposés qui meublaient sa cage roulante d’un mètre de côté ».

L’entreprise, de nos jours

En 1923, deux frères argentins, MM. Della Valle, créent à Paris la marque et la société « La Maison du Café ». Ils développent leur savoir-faire dans la sélection, le mariage et la torréfaction des meilleurs grains. La so­ciété « Au Planteur de Caïffa » acquiert 25 % du capital de « La Maison du Café », obtient son fond de commerce et sa marque. Peu après ce rachat, le « Caïffa » modifie sa dénomination et devient l’U.F.I.M.A. (Union Française d’Industrie et de Marques Alimentaires), avec Michel Cahen comme président et Julien Couture (son adjoint depuis 1900) comme directeur-adjoint. Jusqu’en 1965, l’U.F.I.M.A. mène une politique de rachat des so­ciétés régionales de torré­faction. La gamme comprend alors neuf marques : La Maison du Café, Au Planteur de Caïffa, Mokalux, Martin, Biec, Lemaire, Savourex, Corlida et Océanic. Elles sont unifiées en 1967 sous le label de « Maison du Café ».

En 1977, le groupe néerlandais Douwe Egberts, fondé en 1753, achète la société « Maison du Café ». Le groupe Douwe Egberts France, ainsi créé, s’associe dès l’année suivante à la Sara Lee Corporation. Il fait dès lors partie du club très fermé des plus grands torréfac­teurs du monde, avec plus d’un million de clients disséminés dans près de cinquante pays.

Références

Une grande partie de cet article s’inspire des travaux du Dr Jean Cohn, réédités en 3 volumes par l’APFI, en juillet 1996. Le « Caïffa » y figure pp. 362-364. Nous avons complété notre étude par diverses données glanées sur Internet.